La démocratie élective, c’est le premier pas vers la démocratie. Concrètement, elle règle la participation des habitants au suffrage électoral. Avec ce billet n°27 nous (re)découvrirons les nombreux enjeux auxquels la démocratie élective belge a été confrontée depuis 1830.
Egalement, nous nous limitons exclusivement à cet aspect de la démocratie. Par exemple, nous n’abordons pas la démocratie représentative qui règle, entre autre, la représentation des citoyens dans les cercles du pouvoir.
En 1830, l’éviction du roi de Hollande Guillaume Ier permet à la grande bourgeoise d’évincer l’aristocratie du pouvoir. Par conséquent et pour s’assurer de ses droits, elle rédige une Constitution prévoyant le vote électoral. Ainsi, elle supprime le droit aristocratique de l’accession au pouvoir uniquement par la naissance.
Cependant, de 1830 à 2019, cette grande bourgeoisie a dû progressivement abandonner ses privilèges au profit du plus grand nombre. Cela ne s’est pas fait sans mal.
Ce qui aujourd’hui semble évident ne l’était absolument pas pour nos aïeux.
1 L’évolution de la démocratie élective depuis 1831
1.1 Les élections de 1831 à 1848
La Constitution belge est présentée comme une avancée extraordinaire dans l’accession à la démocratie. Les nations étrangères de l’époque la voient d’un mauvais œil. Le tableau du peintre Gustaf Wappers est un bel outil de propagande. En utilisant habillement la lumière et le mouvement de la foule, il exalte magnifiquement l’élan populaire qui a permis aux belges « de sortir du tombeau ».
Mais le grand vainqueur de la démocratie élective, c’est le bourgeois à cheval qui se tient un peu dans la pénombre du tableau. Le cheval est un signe de richesse. Dorénavant, il permettra à celui qui le possède d’accéder au suffrage électoral.
Notre très libérale constitution de 1831 a mis sur pied le suffrage censitaire. En d’autres mots, un citoyen peut voter s’il détient un droit de vote. Il l’obtient s’il est de sexe masculin âgé d’au moins 25 ans et s’il paye un impôt d’un certain montant appelé le cens.
La possession d’un cheval oblige son propriétaire à payer de l’impôt. Effectivement, ceci lui ouvre le droit de pouvoir voter.
En conséquence, 3% de la population détient le droit de vote !
De fait, environ 91.777 belges en sont les heureux bénéficiaires.
Était-il nécessaire au « peuple belge » de mourir glorieusement pour un si maigre résultat ? Ne jugeons pas 1830 avec nos yeux de 2019. Mais, voyons cela positivement comme le point de départ de la démocratie élective.
1.2 Les élections de 1848 à 1871
1.2.1 En 1848
Rien n’est simple en Belgique, le cens (l’impôt) est variable d’une région à l’autre.
Puisque, la constitution prévoit que les belges sont égaux devant la loi, le parlement met fin à cette injustice flagrante. Le législateur instaure un minimum constitutionnel égal pour tous. De même, le parlement abaisse son montant minimum.
Quelques belges ont eu l’heureuse surprise d’accéder à la démocratie élective en qualité de « vrai belge » pouvant voter.
1.2.2 En 1871 Second abaissement du seuil minimal du cens électoral.
Une seconde fois le parlement baisse son seuil minimum élargissant ainsi à nouveau la base électorale. Par conséquent, le nombre d’électeurs passe à environ 103.717 personnes.
1.2.3 En 1871 L’exit des cabaretiers du corps électoral – un recul de la démocratie élective
Mais quel est la différence entre un droit d’accises et une taxe ? Pour le commun des mortels la différence est mystérieuse, sauf pour le gouvernement catholique de l’époque.
Sans doute pour « éliminer de vils personnages qui œuvrent à la destruction des ménages en favorisant l’alcoolisme », il transforme l’impôt sur les débits de boisson (impôt direct) en un droit d’accises (impôt indirect) sur les boissons. De ce fait, ce sont 12.262 cabaretiers sur 103.717 électeurs qui perdent leur droit de vote. Nous assistons à une régression de la démocratie élective.
Les anticléricaux perdent un nombre important d’électeurs potentiels. Du coup l’opposition libérale vomit contre la « manipulation électorale et l’atteinte aux droits démocratiques inaliénables des honnêtes cabaretiers ».
C’est le grand débat au parlement.
1.2.4 Le 16 août 1878 – Les libéraux se vengent – Haro sur les curés.
La main sur le cœur, le nouveau gouvernement dominé par les libéraux vote une avancée majeure de la séparation de l’Eglise et du Pouvoir. Il supprime tout impôt foncier pour ceux qui occupent gratuitement une maison !
Pourquoi eux et pas les autres occupants ? Les « cathos » ont très bien compris la manœuvre. Ils hurlent à mort et dénoncent la « bassesse de cette perfide décision qui blesse profondément la démocratie ».
Avec cette « gratuité » plus de 1.500 curés perdent automatiquement leur droit de vote.
1.2.5 Le 16 août 1878 – C’est la fin du honteux scandale du « cheval mixte »
Par la même occasion, le gouvernement met fin à l’existence de la « bête légendaire et cléricale des Flandres: le cheval mixte ».
C’était le cheval qui labourait en semaine et promenait son maître le dimanche. Les paysans catholiques sortaient le dimanche leurs gros chevaux de labour pour pouvoir se faire taxer, et ainsi être électeurs.
Curieuse période où les belges se battent pour avoir l’heureux privilège de payer les impôts !
1.2.6 Le 26 juillet 1879 – Des servantes ravalées au rang de belges de seconde zone
Menant leur combat pour « l’abolition des privilèges et le respect des règles d’une saine démocratie », le gouvernement libéral s’attaque ensuite au droit des servantes des curés. Alors que leurs employeurs sont déchus de leur droite de vote, il était indécent qu’elle puissent voter ! Le parti catholique est outré de celle vilaine atteinte à la dignité d’honnêtes citoyennes par la « dictature anticléricale ».
Et pour cause, le parti catholique perd environ 9.000 électrices du corps électoral
(Tient, des femmes pouvaient voter à cette époque ?)
Mais ces atteintes à l’assiette électorale (le nombre de participants aux élections) ne seraient-elles pas des victoires à la Pyrrhus ? Entre temps, les « classes inférieures » piaffent d’impatience devant les portes de la démocratie élective.
1.2.7 1883 – Les intellectuels belges obtiennent le droit de vote.
En 1883, un premier verrous saute. Hourra, le vote capacitaire est introduit.
C’est la fin du monopole de la grande bourgeoisie.
Ceux qui n’ont pas les moyens de payer le cens, mais qui justifient d’un certain niveau d’instruction ou occupent certaines fonctions appelées « les capacités » (médecin, magistrat, notaire, officier supérieur…) peuvent maintenant participer aux élections communales et provinciales.
Ce sont au total près de 136.000 belges qui accèdent au statut de « vrai belge ».
Même si le nombre d’électeurs n’augments pas fortement,
c’est une belle avancée de la démocratie élective.
1.2.8 1893 : Le vote plural, le« big bang » qui fait passer de 136.775 à 1.370.687 électeurs
En 1886, c’est l’insurrection. La misère est telle qu’il ne sert à rien d’avoir des usines. Les crève-la-faim les incendient. Le gouvernement donne l’ordre d’arrêter les manifestations à tout prix. Le calme revient. Les belges pleurent leurs morts.
Malgré cela, en 1893 le POB déclenche une grève dans tout le pays, afin d’obtenir le suffrage universel. Des heurts avec la police font plusieurs morts.
En conséquence, le pouvoir poussé dans ses retranchements lâche du lest et accorde le suffrage universel tant demandé MAIS en le tempérant par le vote plural.
Le suffrage universel tempéré par le vote plural est adopté.
Tous les Belges de sexe masculin de plus de 25 ans sont électeurs mais certains disposent d’une, de deux ou trois voix supplémentaires.
1.2.9 1919 : Suffrage universel masculin
La guerre 14-18 a trop détruit. Il faut reconstruire le pays. On ne le sauvera pas sans les bras des ouvriers.
Le Roi Albert Ier drible la classe politique incapable de se réformer pour élargir la démocratie élective. Conformément aux promesses faites pendant la guerre, il accorde le droit de vote de facto à tout citoyen masculin de plus de 21 ans pour les élections de 1919.
1.2.10 1948 : Suffrage universel mixte
Malheureusement, les affres de la guerre 40-45 ont détruit en grande partie le pays. De fait beaucoup trop d’hommes ont été déporté en Allemagne et ne sont pas revenus. Les femmes ont payé leur lot de souffrances. En conséquence et en reconnaissance à leur dévouement, le monde politique fait droit à leur revendication.
Pragmatique, le pouvoir décide le 27 mars 1948 d’aligner le droit de vote des femmes
sur celui des hommes.
1.2.11 1969 : Droit de vote à partir de 18 ans
« Chef, nous devons faire des économies budgétaires ! Je propose d’abaisser l’âge de la majorité. Avec un départ à 18 ans des jeunes des orphelinats et des institutions, nous économisons 700 millions de Francs belges».
Et la classe politique de déclarer « Comme élus de la nation et pour permettre aux jeunes de notre beau pays de prendre plutôt dans la vie leurs responsabilités de citoyens en main, nous décidons d’abaisser l’âge de la majorité de 21 à 18 ans ».
En 1969, un grand nombre de jeunes durent quitter les institutions d’accueils dès 18 ans au lieu de 21 ans.
En conséquence comme le droit de vote est lié à la majorité, celui-ci est d’office abaissé à 18 ans.
1.2.12 En 1976 : Les naturalisés ordinaires les mariés non-belges acquièrent le droit de vote
Grâce à un vote au parlement, les naturalisés « ordinaires » et les personnes ayant acquis la nationalité par mariage se voient reconnaître le droit de vote pour toutes les élections.
C’est un premier pas pour étendre la démocratie élective aux étrangers.
1.2.13 En 1991 : Suppression de la distinction entre naturalisation ordinaire et grande naturalisation
Depuis cette année 1991, la distinction entre naturalisation ordinaire et grande naturalisation est supprimée de la Constitution. Ceci permet plus tard au père du footballeur Vincent Kompany de devenir le premier bourgmestre d’origine africaine.
1.2.14 En 2003 : Élections communales ouvertes aux citoyens européens
A condition de s’inscrire sur les listes électorales, les résidents étrangers ressortissants d’un État membre de l’Union européenne peuvent devenir électeurs aux communales dans les mêmes conditions que les Belges.
1.2.15 En 2006 : Élections communales ouvertes aux citoyens non-européens
Après 5 années de résidence et moyennant une demande d’inscription sur les listes électorales, les étrangers ressortissants d’États non-membres de l’Union européenne peuvent devenir électeurs au niveau communal.
2 L’évolution de la démocratie élective
L’ouverture de plus en plus grande de la démocratie élective suit l’évolution des mentalités.
Mais, si on regarde l’évolution des réglementations, on constate que celles-ci suivent à une ou deux générations près l’accession d’un groupe électoral.
- 1919 La législation sociale est apparue après le suffrage universel simple.
- 1948 L’acceptation progressive de l’égalité homme-femme dans la société à suivi l’accession des femmes aux droits de vote.
- 1969 Même si le monde politique actuel ne les comprend pas. Les préoccupations des jeunes sont de plus en plus prises en considération. Par exemple, le climat.
- 2003 Concernant les étrangers, leur admission à la démocratie élective est encore trop récente pour que celle-ci impacte les réglementations. Toutefois contrairement à d’autres pays d’Europe, la Belgique ne manifeste pas vraiment de l’hostilité aux étrangers.
En effet, le pouvoir de la démocratie élective c’est de faire entrer des groupes de population
sous le « radar » du monde politique. Il y voit alors un intérêt à s’occuper d’eux.
Comme contre-exemple, les prisonniers qui ont conservé leur droit de vote n’ont pratiquement pas la possibilité de voter. Car c’est compliqué d’organiser un bureau électoral dans une prison. C’est pourquoi, les partis politiques les prennent moins en considération. Effectivement, où est le bénéfice de s’en occuper ?
(s) Michel NIEZEN
27. DÉMOCRATIE ÉLECTIVE BELGE – UNE HISTOIRE MOUVEMENTÉE DE 1831 À 2019 : Article très intéressant car , non seulement, il met en évidence la difficulté et la complexité de construire et de maintenir en vie une démocratie, mais il nous nous rappelle aussi qu’en dépit de ses défauts ou des déceptions qu’elle peut susciter, cette démocratie est un privilège fabuleux car elle nous a offert et garanti ces libertés essentielles- droit d’association, de culte, de réunion, d’expression, de libre-entreprise…..- que tant de pays nous envient pour ne pas les posséder ! J’ai toujours considéré mon droit de vote comme une bénédiction et comme une hérésie de ne pas en user ! L’électeur ne doit pas sous-estimer sa puissance ! Pour exemples concrets, c’est bien lui qui fit passer le parti communiste belge solidement installé en 1975 avec ses 15 % vers ses actuels 0,….. et c’est bien l’électeur français qui a fait sombrer le parti socialiste (français) à 6 % à peine récemment…. Il ne saurait exister à la tête de notre pays d’autres politiciens que ceux que nous y plaçons nous- mêmes. Donc je vote avec bonheur et si je suis assesseur, je m’en réjouis encore davantage. Si d’autres préfèrent la Corée du Nord…..